l'EPR de Flamanville

Ce qui nous a donné l'idée de ce podcast, c'est la mise en service de l'EPR de Flamanville, initialement prévue pour juillet. Bon, chez les gars du labo, on a pris un peu de retard et abandonné le sujet parce qu'il n'était plus d'actualité ! Heureusement, la mise en service de l'EPR n'est toujours pas effective et devrait avoir lieu avant le 21 décembre 2024. Donc, les gars du labo sont de retour pour couvrir l'actualité !
Ce podcast a commencé le 7 mai 2024, lorsque l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a délivré une autorisation de mise en service de l'EPR de Flamanville, 17 ans après le début du projet.
L'EPR de Flamanville, c'est un peu l'émission de téléréalité des médias depuis une vingtaine d'années. Ce n'est pas dû au fait que ce soit la centrale nucléaire la plus puissante en France qui en fait un sujet médiatique, mais surtout au fait que l'EPR de Flamanville est une catastrophe économique, avec 12 années de retard sur le calendrier et une facture multipliée par quatre.
Mais pourquoi tout le monde en parle ? Des projets qui ne respectent pas les délais et qui explosent les budgets, il y en a tous les jours, non ?
Oui, mais pas des projets comme celui-ci ! Ce projet est d'une importance cruciale pour la France, qui n'a pas construit de nouvelle centrale nucléaire depuis 1999.
Aujourd'hui, la France est alimentée en électricité à 65 % par le nucléaire. Avec une capacité installée de près de 61,4 GW, cela fait d'elle le deuxième parc nucléaire le plus important au monde, derrière celui des États-Unis.
La France n'est pas en capacité de se passer du nucléaire. Elle est donc obligée de renouveler son parc.
Pour bien comprendre le projet de Flamanville, il est important de savoir qu'il ressemble à une série pleine de rebondissements.
Ce projet débute en 1992, avec la création d'une collaboration franco-allemande entre "Framatome" et "Siemens".
Mais en 2011, après la catastrophe de Fukushima, l'Allemagne abandonne le nucléaire et Siemens se retire de l'EPR, laissant la France seule pour assumer ce projet.
Les ennuis commencent en 2015, lorsque des défauts de soudure sont découverts dans la cuve, entraînant des surcoûts importants.
En 2016, Londres approuve deux EPR à Hinkley Point. Ces premiers EPR deviennent opérationnels, mais la France n'a toujours rien.
En 2018, la Chine met en service son premier EPR, suivie par la Finlande en 2021, bien que le projet finlandais ait accusé plus de douze ans de retard.
En 2022, alors qu'aucun EPR n'est encore fonctionnel en France, le président annonce la construction de six autres réacteurs.
Aujourd'hui, nous sommes en 2024, et les tests finaux sont en cours sur le projet de Flamanville, qui accuse un retard de 12 ans. Le budget initialement prévu de 3 milliards d'euros a grimpé à 19 milliards.
Mais pourquoi ce projet très coûteux pour les Français n'a-t-il pas été abandonné ?
LES ENJEUX
Ce projet est vital pour la France sous plusieurs aspects.
- D'un point de vue économique, l'EPR est primordial. Il permettrait de renforcer la compétitivité du nucléaire en remplaçant les anciens réacteurs arrivant en fin de vie. Pour rappel, les réacteurs ont une durée de vie maximale de 40 ans, et aujourd'hui l'âge moyen de ces réacteurs est de 35 ans.
- Sans le nucléaire, la France serait obligée d'importer de l'énergie des pays voisins et deviendrait donc dépendante énergétiquement de ces États.
- Le déploiement des EPR permettrait aussi davantage de sûreté, car les réglementations sont plus strictes pour ces réacteurs.
- Une fois fonctionnels et avec l'obtention des certifications, ces EPR pourraient être déployés à l'étranger, faisant ainsi de la France l'un des leaders du marché.
Étant donné que les réacteurs actuels sont vieillissants, comment se fait-il qu'il n'y ait qu'un seul EPR en construction, alors que nous aurions besoin d'une dizaine pour subvenir à nos besoins énergétiques ?
Il faut comprendre que le nucléaire en France dépend des décisions politiques.
En France, la droite soutient historiquement le nucléaire pour son rôle dans l'indépendance énergétique et son faible impact carbone, tandis que la gauche est plus divisée, certains partis privilégiant les énergies renouvelables.
L'alternance des gouvernements de gauche et de droite a parfois ralenti le développement du nucléaire. Par exemple, sous François Hollande, une loi a été votée pour réduire la part du nucléaire à 50 %. Cinq ans plus tard, Emmanuel Macron a annoncé l'objectif de construire au moins six EPR, dont deux d'ici 2037.
Les freins au projet sont donc en partie politiques. Ils sont aussi dus au développement d'une nouvelle technologie, ce qui n'est jamais facile. Mais quelles sont les différences entre les centrales actuelles et celle de Flamanville ?
LA TECHNIQUE
Pour rappel, la production d'électricité dans un réacteur nucléaire repose sur la fission de l'uranium 235, un isotope instable. Lorsqu'un neutron frappe un noyau d'U-235, celui-ci se divise en deux noyaux plus légers, libérant de l'énergie et d'autres neutrons. Ces neutrons déclenchent une réaction en chaîne contrôlée.
Dans les réacteurs, la chaleur générée est transférée à de l'eau sous pression, qui produit de la vapeur pour actionner une turbine reliée à un alternateur, générant ainsi de l'électricité.

- La première grosse différence réside dans la puissance d'un réacteur : un EPR produirait 1650 MW, contre 800 MW pour un REP.
- Le rendement thermique annoncé est de 37 %, contre 33 % pour les réacteurs de la génération précédente. Ce gain s'explique par une augmentation de la pression du circuit secondaire (78 bars au lieu de 65 bars environ) et donc de sa température.
- Par kWh produit, l'EPR consomme de 7 à 15 % d'uranium en moins que les réacteurs de deuxième génération.
- L'EPR devrait être capable d'utiliser 100 % de combustible MOX, un combustible qui permet de réutiliser le plutonium contenu dans les déchets nucléaires et qui a déjà fait l'objet d'un autre podcast sur notre chaîne.
- Enfin, la durée de vie des EPR serait d'environ 60 ans, contre 40 ans auparavant.
Ce projet reflète autant les ambitions que les contradictions de notre politique énergétique : une technologie prometteuse, mais marquée par des retards, des surcoûts et des interrogations.
Il soulève des questions essentielles sur l'avenir de l'énergie en France, opposant les "groupies" de Jancovici, qui voient dans l'EPR une solution pérenne aux défis climatiques, à ceux qui misent sur les énergies renouvelables, malgré leurs obstacles comme l'intermittence.
Nous espérons que cet article vous a permis de mieux comprendre les enjeux du nucléaire et de nourrir votre réflexion sur cette technologie. Dans cet article, nous n'avons pas abordé les risques du nucléaire ni la gestion des déchets, mais cela ne veut pas dire que ces sujets sont négligeables.